Sepang, Malaisie, 6 février 2014. A la fin des premiers tests officiels MotoGP, il suffisait d’observer le visage des pilotes des Honda RCV1000R pour comprendre que « déception » était le mot qui caractérisait leur nouvelle monture.
A l’inverse de l’éblouissant Aleix Espargaro qui, finalement, est bien content d’avoir indemnisé le team Aspar pour pouvoir s’échapper et rejoindre la FTR-Yamaha du team NGM Forward (qui n’a de FTR que les accessoires), Nicky Hayden et Scott Redding faisaient grise mine et l’ont fait savoir; la moto manque visiblement de puissance et la meilleure d’entre elles, celle de Hayden, termine à environ 1,5 seconde de sa concurrente Yamaha.
Nicky Hayden: « en étant honnête, c’est un peu démoralisant de voir un si grand écart. Quand vous essayez de suivre quelqu’un, il a juste disparu quand vous arrivez en bout de ligne droite. Je ne m’attendais pas à cela« .
Même s’il concède qu’il lui reste beaucoup de travail à faire pour utiliser pleinement sa moto, châssis, électronique et pilotage inclus, l’américain s’avoue impuissant face au déficit de puissance, particulièrement visible en ligne droite et en sortie de virages lents.
Ce à quoi Shuhei Nakamaoto s’est empressé de répondre qu’il fallait juste apprendre à piloter cette nouvelle moto (ce qui a ravi Hayden qui n’est pourtant pas précisément ce qu’on pourrait appeler un perdreau de l’année) et que Yamaha n’avait pas respecté l’esprit du règlement en fournissant au team NGM Forward rien de moins qu’une moto d’usine de l’année dernière. Ce qui est vrai puisque la moto d’Espargaro est équivalente à celle de Crutchlow de l’année dernière, mais sans tous ses accessoires, cela engendrant par ailleurs une moto visiblement encore très loin de la finition d’une Yamaha Factory…
Scott Redding, de son côté, a bien conscience qu’il a encore tout à apprendre du pilotage d’une MotoGP mais confirme néanmoins les propos de l’Américain: « Je suis d’accord avec Nicky au sujet de la puissance. Quand je suis Colin Edwards ou Aleix Espargaró, ils s’échappent systématiquement en sortie de virages étroits. Je ne crois pas que la vitesse de pointe soit tellement différente, c’est surtout la sortie et l’accélération.»
Pour faire face à toutes ces déclarations, le Vice-Président du HRC s’est transformé en responsable du service après-vente et tente de calmer les esprits: « L’écart est important mais pour être honnête, les Honda ne sont pas faciles à piloter. Les pilotes ont besoin de plus de temps pour comprendre leurs machines. Nous pensons qu’ils peuvent atteindre un meilleur niveau.
Chez Honda, notre style est de ne jamais arrêter le développement, et pas seulement pour les machines Factory. Si nous trouvons quelque chose de mieux, nous le fournirons tout de suite aux teams. Il y a parfois un coût supplémentaire mais s’il s’agit d’une pièce comme un piston, et bien un piston est un piston et dans ce cas nous ne demanderions rien de plus au team. »
Pour tenter de comprendre la déception engendrée par cette compétition-client, effectuons un petit retour dans le passé.
Quand la moto a été annoncée et mise en avant, Honda s’est largement servi de l’aura de Casey Stoner pour la crédibiliser; communiqués de presse, photos et chrono annoncé de seulement 3/10ème par rapport à une RC213V, sur le même circuit par le même pilote. Tout le monde a alors logiquement pensé qu’il s’agissait du chrono de Stoner.
C’était faux puisqu’il s’agissait en fait de celui de Kousuke Akiyoshi, Casey Stoner s’étant concentré sur la RC213V et n’ayant réalisé en tout et pour tout que cinq tours « promotionnels » sur la RCV1000R, essais de Motegi et Sugo compris…
Laissons pudiquement l’ingénieuse efficacité du marketing Honda de côté (à l’époque, personne ne pensait que Honda allait rééditer l’histoire de la NSF250R face aux KTM) et intéressons-nous maintenant au présent; il est certain que la moto peut être améliorée sur bien des plans, à commencer par l’électronique.
A cet égard, si ce n’est la conclusion, du moins la constatation de Scott Redding semble assez révélatrice: « La Yamaha (ndlr: du team NGM Forward) garde l’avant au sol et avance tout de suite. On a l’impression qu’ils ont plus de puissance.«
Clairement, il y a à gagner du côté du réglage de l’électronique Magneti Marelli adaptée aux Honda, anti-wheeling et/ou Traction Control…
Ensuite, il est très difficile d’avoir des informations exhaustives sur les pilotes de la classe Open qui ont utilisé le pneu Extra-Soft pour faire leur meilleur chrono. S’il est confirmé qu’Espargaro l’a mis à profit, à l’inverse de son coéquipier, nous n’avons aucune information concernant Nicky Hayden.
Rappelons juste qu’un pneu plus tendre permet de passer plus vite en virage, d’accélérer un peu plus tôt et de s’échapper ensuite à l’accélération… à moteur égal.
Mais au moins aussi important, est le choix opéré par Honda, lourd de conséquences, de vendre ses motos au lieu de les louer comme Yamaha.
Chez ce dernier, les moteurs ne seront jamais ouverts par les mécaniciens du team NGM Forward; une fois leur limite de kilométrage atteinte, ils seront rendus à l’usine. 5 moteurs sont prévus dans le contrat, le même nombre que celui autorisé aux Factory et cela devrait suffire puisqu’il s’agit du même moteur.
Chez Honda, on a vendu la moto avec 5 moteurs également (plus précisément 3 moteurs plus 2 révisions) et les mécaniciens pourront en faire ce qu’ils veulent dès qu’ils ne seront plus listés par la Dorna. En conséquence, Honda en a retiré tout ce qui fait actuellement son avantage par rapport à la concurrence, à commencer par la boîte seamless et la distribution pneumatique (et, accessoirement, les suspensions Öhlins Factory à 70 000 euros).
Et c’est sans doute là où le bât blesse un peu…
En remettant des classiques ressorts de soupapes, soit l’élément le plus sollicité d’un moteur de compétition, Honda a doublement pénalisé le propulseur de sa Compétition-Client; tout d’abord, à cause de la moindre performance d’un ressort par rapport à l’air comprimé, les arbres à cames de la RCV1000R ont forcément un profil moins agressif que ceux de sa cousine d’usine, engendrant de fait un moteur moins puissant.
Ensuite, Honda a choisi de ne livrer que 5 moteurs pour faire la saison complète. Choix purement financier puisque le règlement en autorise 12 en catégorie Open.
Cela faisant, cela oblige un moteur à pouvoir faire 3 week-ends et demi de course sans être ouvert et changé, soit plus que la durée de vie du plus performant des ressorts de soupapes, ne laissant d’autre choix pour assurer cette fiabilité que de diminuer d’un nouveau cran les profils d’arbres à cames.
Monsieur Nakamoto nous parle, à titre d’exemple, de nouveaux pistons en cours de saison? Gageons plutôt qu’il s’agira d’arbres à cames et de ressorts, quitte à imposer quelques révisions de moteur supplémentaires…
Attention! Si la puissance moteur est importante, il faut savoir relativiser les écarts entre les différentes motos. Selon nos informations, la FTR-Yamaha d’Espargaro ne possède pas plus de 12 chevaux de plus que son Aprilia 2013; la différence de performances entre les deux motos ne tient évidemment pas seulement à ces 12 chevaux,
De même, nos sources estiment actuellement le déficit de la Honda RCV1000R à une petite dizaine de chevaux. Pas plus. Une fois finement réglée sur le plan électronique et châssis, à défaut d’une modification de la hiérarchie mise en place, les écarts vont se réduire et ce, d’autant plus que les pilotes en extrairont peu à peu la quintessence, comme Aleix Espargaro sait si vite et si bien le faire.
Valentino Rossi, avec son expérience immense, ne s’y est pas trompé: « les Open ont du potentiel, mais surtout Aleix a du potentiel.«
En résumé, la RCV1000R manque de puissance, oui, forcément, mais pas tant que ce que l’on pourrait croire au premier abord.